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Le projet
Cet appel à contributions vise à poursuivre des échanges organisés par l’Université de Montréal et l’Université du Luxembourg lors des journées d’étude des 9 et 10 octobre 2024 intitulées « La contribution du droit à l’instauration d’un monde décroissant ». Ces journées continuaient les réflexions amorcées en mai 2023 à l’Université du Luxembourg lors du Colloque « Décroissance et droit : poursuivre l’exploration des possibles juridiques ».
L’objectif de ces échanges internationaux, que reflètent les titres des deux précédents évènements, est d’identifier et de préciser le rôle du droit et des sciences juridiques dans les réflexions sur la décroissance. Ils s’inscrivent dans un contexte disciplinaire hétérogène formé de racines et d’influences diverses, allant de l’économie écologique au mouvement pour la décroissance « à la française », en passant par les critiques culturalistes du développement apparentées à la pensée d’Ivan Illitch.[1]
La démarche qui sous-tend ces échanges intègre les réflexions riches menées depuis des dizaines d’années, et pose la définition suivante de la décroissance comme fondement, parmi bien d’autres approximativement équivalentes :
La décroissance est une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être.[2]
À partir de cette définition, l’article issu des journées de 2023 a offert un panorama des possibles qui résume l’éventail des pistes de recherche abordées dans la foulée de la première rencontre pour engager le droit vers la décroissance, démontrant ainsi que cette discipline y joue un rôle nécessaire.[3]
Les journées de 2024 ont abouti à un recueil d’articles publiés dans un numéro spécial de la revue LexElectronica pour tracer un portrait détaillé d’instruments juridiques et de sources de droit capables de contribuer à la mise en œuvre de la décroissance.[4]
Prolongeant les étapes antérieures, cet appel convie les contributeurs à une réflexion collective destinée à préciser le rôle et l’apport du droit et de la science juridique dans les efforts de clarification, de concrétisation, d’opérationnalisation et de mise en œuvre du projet théorique et politique porté par la décroissance.[5]
L’événement sera l’occasion de réaliser une convergence avec le projet Communautés et pratiques communautaires (Projet Maturation, MSH Paris-Saclay GRDP- DANTE) afin d’initier une réflexion portant sur la gestion collaborative et communautaire des projets décroissantistes.
Le thème
Cet appel cible des pistes de recherche permettant de révéler, de préciser, d’atténuer ou de résoudre, par le droit ou dans le domaine des sciences juridiques, des incohérences, des incertitudes ou des tensions affectant le projet décroissantiste.
La décroissance est affectée par de nombreuses incertitudes, tensions ou incohérences tant à titre de construit théorique que de programme politique. Des exemples permettent de mieux appréhender le thème de cet appel. La survenance annoncée de seuils d’effondrement écosystémiques au-delà desquels la stabilité et la prévisibilité des processus écologiques deviennent quasi nulles réduit les possibilités de planifier la décroissance. Le recours à l’expertise que requiert la détermination des empreintes écologiques adéquates limite l’étendue des débats politiques et des décisions démocratiques. De l’échelle internationale à l’échelle locale, les disparités extrêmes dans les niveaux de développement et de richesse empêchent la conceptualisation et la mise en œuvre d’un mouvement de décroissance homogène et uniforme, mais demandent plutôt de concilier développement avec décroissance pour préserver l’équité et la justice sociale inscrite au cœur du projet. Dans l’élaboration du programme décroissantiste, le rôle prépondérant joué par des cercles intellectuels occidentaux perpétue des asymétries et des hiérarchies rappelant les dynamiques coloniales, ce qui sape le pluralisme affiché de ces approches.
Ces incertitudes et ces incohérences se reflètent inévitablement dans les cadres juridiques qui prennent en charge les domaines où elles se manifestent, qu’il s’agisse des contraintes juridiques applicables aux activités affectant la qualité de l’environnement, des cadres d’aménagement des collectivités et du territoire, des mécanismes civils ou fiscaux de transfert ou de répartition de la richesse, des structures constitutionnelles qui conditionnent le régime politique, des droits de la personne à l’éducation ou à la santé et à la sécurité, etc.[6]
En réponse à ces incertitudes, ces tensions ou ces incohérences, les orientations suivantes suggèrent des pistes de réflexion que les contributions peuvent viser par des approches qui intègrent le droit et la recherche juridique.
Les orientations
Orientation 1 : comment concilier la diversité avec un objectif commun?
La décroissance tolère remarquablement bien les variations des énoncés et des définitions de son objectif ainsi que des cibles de son programme.[7] Tant le degré de décroissance jugé nécessaire pour atteindre les buts de la post-croissance que les représentations du monde post-croissance varient significativement d’un auteur à l’autre.
“Degrowth does not claim one unitary theory or plan of action. A remarkably diverse network of thinkers and actors experiment with different initiatives, and engage in healthy debates about what degrowth is, and what forms it can or should take in different contexts.”[8]
D’ailleurs, le pluralisme est souvent reconnu comme un principe fondamental de la décroissance. La capacité à élaborer un projet commun s’en trouve remise en question. À force de diversité et de divergences, l’élaboration d’un projet collectif par une communauté spécifique rassemblée autour de la décroissance devient ardue.
Plusieurs tensions peuvent être évoquées à titre d’illustration des difficultés propres à cette orientation qui vise la conciliation de la diversité avec un objectif commun. La décroissance doit faire place en son sein à des dynamiques de croissance, autant que conjuguer la décroissance de l’Occident avec des voies alternatives de prospérité dans le Sud global. L’affirmation d’opinions conflictuelles dans des processus décisionnels participatifs par la délibération démocratique doit trouver des arrimages avec les certitudes fondées sur l’expertise scientifique et technocratique.
En somme, il s’agit de déterminer jusqu’à quel point la décroissance peut accommoder les divergences sans se dénaturer ou sans renier son attachement envers certaines conceptions de la justice sociale et de l’équité.
Orientation 2 : quels voies et moyens d’action pour la décroissance?
Malgré les décennies d’élaboration et d’étude du projet décroissantiste, la perpétuation de l’hégémonie croissancielle et de ses dynamiques (politiques, économiques, culturelles, idéologiques, etc.) accélère la crise environnementale planétaire et l’effondrement de processus essentiels à la vie. L’opérationnalisation et la mise en œuvre de la décroissance deviennent impératives pour éviter les pires manifestations des dislocations ou destructions des systèmes environnementaux et socio-économiques.
La nécessité d’une action urgente soulève la question des stratégies et des moyens mobilisés pour mettre en œuvre la décroissance, qui se caractérisent habituellement selon une typologie en trois volets : les transformations rupturées qui incluent les méthodes de confrontation directe destinées à effectuer un changement abrupt de portée révolutionnaire; les transformations interstitielles qui reposent sur la construction de nouvelles structures et capacités en marge de la société, hors des espaces dominés par les pouvoirs actuels; les transformations symbiotiques qui visent à transformer les institutions de l’intérieur pour aboutir progressivement à un changement de paradigme.[9]
Avec cette boîte à outils, le mouvement de la décroissance doit déterminer dans quelle mesure les objectifs de la décroissance peuvent légitimer les moyens employés, et comment ces moyens influencent ses buts. Dans cette interaction, les relations malaisées entre plusieurs concepts, valeurs et principes constitutifs de la décroissance ou y apparentés doivent être clarifiées, comme l’engagement envers la démocratie face à la certitude scientifique, la primauté du droit face à la désobéissance civile ou l’action révolutionnaire, les limites imposées par les empreintes écologiques face aux impératifs d’équité et de justice sociale, ou encore l’action instrumentale efficace face à la participation délibérative inclusive.
Orientation 3 : quels rôles jouent les communautés de la décroissance?
Le fonctionnement des diverses communautés impliquées dans la décroissance sont des objets d’étude cardinaux dans une perspective d’opérationnalisation décroissantiste. La décroissance affiche son attachement à la délibération démocratique, à ses modes représentatifs ou directs.[10] Les formes et les modes de gouvernance des communautés appellent une réflexion quant à leur rôle effectif, dans le mouvement décroissantiste et dans la société post-croissance. Les cadres normatifs qui déterminent ces formes et modes de gouvernance sont des objets d’étude privilégiés.
La place des communautés dans ce débat est d’autant plus importante que le modèle de la démocratie libérale fait face à des contestations croissantes sur des bases culturelles et idéologiques qui appellent à l’étude particularisée de ses principes de justice sociale et d’équité. L’engagement dans une opposition concrète et efficace contre l’hégémonie croissantiste mène aussi à envisager des méthodes plus autoritaires ou hiérarchisées.
En somme, les communautés rendent compte de la diversité des moyens d’action en fonction desquels leurs niveaux d’échelles et d’organisations varient. Elles peuvent être locales, internationales, poreuses, fermées, horizontales ou hiérarchiques…
 Orientation 4 : quels apports en recherche et en enseignement?
La science juridique est bien placée pour explorer les incohérences, les incertitudes ou les tensions dans le projet décroissantiste à cause de l’accent qu’elle met sur les raisonnements discursifs, itératifs, dialogaux et dialectaux, qui reposent sur la raison rhétorique plutôt que la logique positiviste.
Néanmoins, l’utilité et le positionnement de la recherche et de l’enseignement universitaires requièrent réflexion face à la décroissance. D’emblée, la recherche en droit joue un triple rôle de description du système juridique, de justification des règles et de prescription de ce que ce système devrait être à la lumière des objectifs politiques ou des connaissances scientifiques.[11] Ces fonctions amorcent un positionnement du droit en relation aux autres disciplines qui doit être affiné.
Une langue et des méthodes interdisciplinaires doivent encore être élaborées compte tenu de l’ampleur du projet décroissantiste mobilisant tous les champs de connaissance. De plus, l’intégration en droit des principes organisateurs de la décroissance demande la réévaluation de ces normes fondamentales de même que sa méthodologie et son épistémologie. L’herméneutique et l’exégèse dans la tradition positiviste doivent être redéfinies et réévaluées quant à leur utilité dans un contexte essentiellement interdisciplinaire.
Les contributions
Le contenu
Cet appel vise à réunir des contributions originales, techniquement pointues, qui ouvrent des perspectives concrètes sur l’étude, l’atténuation ou la résolution des incohérences, des incertitudes ou des tensions dans le projet décroissantiste afin de cibler les apports du droit et de la science juridique à ces égards.
De multiples réflexions ont déjà été menées pour déconstruire le droit positif et il convient de s’en servir comme point d’appui.[12] Des contributions juridiques à l’élaboration d’un monde non-capitaliste se sont aussi développées ces dernières années (les communs, l’économie sociale et solidaire, le buen vivir…) et elles sont aussi précieuses.[13]Les propositions attendues ne peuvent pas consister seulement dans un recyclage aux couleurs de la décroissance,c’est-à-dire comme la simple transposition discursive de publications sur des thèmes sociaux et environnementaux dans le domaine de la décroissance. Elles doivent faire progresser la réflexion de la communauté scientifique dans le domaine juridique ou des domaines connexes à propos de la recherche à l’égard de la décroissance.
Le format
L’appel à contributions procède en deux temps :
- Proposition : la soumission d’une proposition au plus tard le 5 janvier 2026
 
Les propositions comprennent un titre, le nom de la ou des personnes qui en sont les auteures, et un résumé de 400 mots maximum. Elles incluent une courte bibliographie. Elles indiquent le thème de cet appel auquel elles peuvent se rattacher. Tout autre format de proposition, par exemple une proposition collective sous forme de table ronde sur un sujet ciblant un des thèmes de cet appel, est recevable sous réserve d’une motivation appropriée.
Chaque proposition de contribution fait l’objet d’une évaluation par le comité éditorial pour juger de son adéquation avec l’objet de l’appel à contributions et avec les paramètres de forme et de fonds du Colloque.
- Texte: pour les propositions acceptées, la soumission d’un texte au plus tard le 15 août 2026
 
Si la proposition est acceptée à la première étape, un texte complet de 5 000 à 8 000 mots doit être soumis dans un deuxième temps, afin d’être mis en ligne et partagé avec les personnes participant au colloque.
Les propositions et les textes doivent être transmis à : info@crdp.umontreal.ca [Objet : Décroissance Paris-Saclay – Contribution]
Le comité scientifique
- Mélanie Clément-Fontaine, Professeure de droit privé, Université Paris-Saclay, UVSQ, DANTE
 - Olivier Dussauge, Chargé de cours, Université catholique de Louvain
 - Gaële Gidrol-Mistral, Professeuse de droit privé, Université du Québec à Montréal, GRDP
 - David Hiez, Professeur de droit privé, Université du Luxembourg
 - Annick Provencher, Professeure de droit fiscal, Université de Montréal, CRDP
 - Hugo Tremblay, Professeur de droit des ressources naturelles, Université de Montréal, CRDP
 
Le colloque
Les auteurs des contributions acceptées sont invités à les présenter les 26 et 27 octobre lors du colloque 2026 organisé par l’Université Paris-Saclay en France. Une séance plénière d’échanges entre les participants s’ajoute aux journées de présentations.
Le colloque se démarque par son format, qui couple aux présentations traditionnelles des tables rondes sur des sujets précis et des périodes d’échanges. Sont valorisées les discussions approfondies et les approches collectivespar la tenue d’une délibération plénière sur les résultats des contributions lors de la deuxième moitié de la manifestation.
Les frais de déplacement ne sont pas pris en charge. Une aide pourrait cependant être fournie, en fonction des financements obtenus, dans les situations qui le justifient. Une demande à cet égard doit être formulée et motivée dans la proposition.
Le calendrier
- 5 janvier 2026 : date limite pour l’envoi des propositions
 - 27 février 2026 : annonce des propositions acceptées par le comité scientifique
 - 15 mai 2026 : publication du programme préliminaire du colloque
 - 15 août 2026 : date limite pour l’envoi des textes
 - 15 septembre 2026 :partage des textes entre participants
 - 26-28 octobre 2026 : tenu du colloque
 - Août 2027 : publication des actes du colloque
 
 
[1] Yves-Marie Abraham Guérir du mal de l’infini. Produire moins, partager plus, décider ensemble, Montréal, Écosociété, 2019; Joan Martínez-Alier et al., “Sustainable de-growth: Mapping the context, criticisms and future prospects of an emergent paradigm” (2010) 69:9 Ecological Economics 1741.
[2] Timothée Parrique, Ralentir ou périr : l’économie de la décroissance, Paris, Seuil, 2022. Voir aussi Antoine Bailleux, dir., Le droit en transition : les clefs juridiques d’une prospérité sans croissance, Bruxelles, Presses universitaires Saint-Louis Bruxelles, 2020; François Schneider, Giorgos Kallis et Joan Martinez-Alier, “Crisis or opportunity? Economic degrowth for social equity and ecological sustainability”, (2010) 18 Journal of Cleaner Production 511.
[3] Alexandra Bahary-Dionne et al., « Droit et décroissance : l’exploration des possibles juridiques » (2023) 44 Recueil Dalloz 2250.
[4] Le projet s’inscrit dans le sillon de travaux tels Antoine Bailleux, « Penser en juriste la prospérité sans croissance. Les promesses du droit en transition », dans Véronique Coq, Maxence Chambon et Hugo Devillers, dir., Le paradigme de la croissance en droit public, Paris, LexisNexis, 2022, 211, ainsi que les ouvrages en supra.
[5] L’opérationnalisation de la décroissance comme objet de cet appel à contribution rejoint les constats actuels à propos des besoins et des orientations en recherche : Anitra Nelson et Vincent Liegey, « Degrowth : Future Reseach Directions », dans Anitra Nelson, dir., Routledge Handbook of Degrowth, Londre, Routhledge, 2025, 465.
[6] Voir par exemple Geoffrey Garver, « The Rule of Ecological Law: The Legal Complement to Degrowth Economics », (2013) 5:1 Sustainability316.
[7] Serge Latouche, La décroissance, Paris, Presses Universitaires de France, 2022.
[8] Giorgos Kallis, Susan Paulson, Giacomo D’Alisa and Federico Demaria, The case for degrowth, Polity Press, 2020, p.19.
[9] Erik Olin Wright, Utopies réelles, Paris, La Découverte, 2017.
[10] William Connolly, The Ethos of Pluralization, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1995, p.75 et ss, fait écho à de nombreuses tensions qui parcourent le projet décroissantiste à la lumière du principe démocratique.
[11] Par exemple, voir Andrzej Strzałkowski, “Adaptation and operationalisation of sustainable degrowth for policy: Why we need to translate research papers into legislative drafts?” (2024) 220 Ecological Economics 108176, et Jan Smits, « What is legal doctrine? On the aims and methods of legal-dogmatic research”, dans Rob van Gestel, Hans Micklitz, et Edward Rubin, dir., Rethinking Legal Scholarship. A Transatlantic Dialogue, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, 207.
[12] Outre les textes mentionnés dans les notes précédentes, voir encore Pascale Dufour, « La décroissance, un projet fédérateur pour les juristes critiques? Réflexions sur la recherche juridique et l’enseignement du droit », (2025) Cahiers de droit (à paraître), et Hugo Tremblay, « Ébauche d’une épistémologie et d’une méthodologie pour un droit de la décroissance », (2025) LexElectronica (à paraître).
[13] Par exemple, voir le faisceau d’alternatives à l’hégémonie croissantiste mentionnées dans Anitra Nelson, dir., Routledge Handbook of Degrowth, Londre, Routhledge, 2025.
