Guy Rocher a œuvré au sein du Centre de recherche en droit public de notre faculté de 1981 à 2010. Les médias rendront compte de la carrière exceptionnelle qui l’a conduit de l’université à l’action publique, puis de nouveau à l’université. C’est l’héritage intellectuel qu’il lègue au monde de la recherche sur le droit qui doit être rappelé ici. Sociologue, ses travaux nous ont permis de saisir la place occupée par le droit et par les juristes au sein de la société moderne. Ce faisant, il a abordé le droit comme un objet privilégié de la sociologie générale, plutôt que comme l’objet d’une sociologie particulière. Après avoir exploré, pendant plusieurs années, l’œuvre des fondateurs de la sociologie moderne – qui tous se sont intéressés aux fondements, aux fonctions ou aux formes de la normativité juridique –, il s’est investi dans une série de travaux portant successivement sur la notion d’ordre juridique et sur la théorie du pluralisme juridique, avant de se pencher sur la notion d’internormativité, sur le phénomène de l’émergence puis de l’effectivité du droit. Il a proposé une sociologie des réformes qui inspire encore les acteurs engagés dans l’évolution graduelle de l’action publique.
Plusieurs se souviendront de lui pour sa sérénité, sa bienveillance, sa facilité à tisser des liens, son intérêt pour tout ce qui constituait une forme ou une autre d’innovation sociale; d’autres, pour ses positions en faveur de la langue française et de la laïcité; d’autres encore, pour son engagement en faveur du cégep et, plus largement, en faveur de l’éducation publique. Son soutien à la souveraineté du Québec sera, jusqu’à la fin, resté inébranlable, parce qu’il y voyait la condition du développement et de l’épanouissement de la société québécoise.
Ayant pu observer et participer à l’évolution du monde scientifique, il a constamment adapté sa pratique de recherche aux changements qui ont traversé le système de recherche. Il aura directement contribué, avec André Lajoie, Roderick A. Macdonald et Richard Janda, au développement des premières équipes de recherche au sein des facultés de droit. Porteur d’une perspective différente de celle des juristes, il a favorisé le développement de la sociologie du droit au Québec, proposé les termes d’une nouvelle sociologie de l’éthique et contribué à l’émergence de l’interdisciplinarité et de la recherche empirique en droit.
Pierre Noreau