Intelligence artificielle et droit d’auteur: pourquoi la motion Gössi fait-elle si peur?

Jusqu’à maintenant, l’épineuse question des rapports entre l’intelligence artificielle (IA) et le droit d’auteur a surtout été un sujet de discussion entre les juristes de propriété intellectuelle. En Suisse, elle a désormais pris une tournure politique avec la motion 24.4596 « Pour une meilleure protection de la propriété intellectuelle contre les abus liés à l’intelligence artificielle », déposée par la Conseillère aux Etats Petra Gössi. Le Conseil fédéral a proposé d’accepter cette motion, ce que le Conseil des Etats a fait le 20 mars 2025. La balle est donc désormais dans le camp du Conseil national. Avant que l’objet ne soit examiné par la Commission compétente de ce Conseil, le débat s’est subitement enflammé. On a notamment vu plus de 80 professeur-e-s de l’EPFL et de l’EPFZ signer un appel contre la motion, estimant qu’elle menaçait la recherche suisse en IA, en particulier que son adoption empêcherait d’entraîner des modèles helvétiques, ce qui favoriserait la concurrence étrangère (surtout américaine) [1].
A-t-on raison de s’alarmer ?
Le contenu de la motion
La Conseillère aux Etats Gössi demande en substance que la LDA soit précisée de la manière suivante :

  1. L’autorisation des titulaires de droits est nécessaire lorsque leurs œuvres sont utilisées pour des offres d’IA générative ;
  2. Les exceptions ou restrictions au droit d’auteur n’entrent alors pas en jeu ;
  3. Le droit suisse s’applique et les tribunaux suisses sont compétents lorsque des contenus sont proposés par l’IA en Suisse.

Analyse
Au fond, la motion demande de clarifier ce qui devrait être évident : les systèmes d’IA générative utilisent des œuvres protégées (souvent commercialement), ils doivent par conséquent respecter le droit d’auteur. Il se trouve toutefois que la situation juridique actuelle fait l’objet d’interprétations divergentes, notamment concernant la possibilité d’utiliser des œuvres protégées à des fins d’entraînement de l’IA. La motion permettait donc de lever l’insécurité juridique, ce qui doit être salué.
S’agissant du droit international privé, une concrétisation de la motion permettrait d’améliorer l’effectivité du droit suisse. On pourrait envisager de compléter l’art. 109 LDIP pour indiquer expressément qu’un résultat (au sens de l’art. 109 al. 2 LDIP) des actes d’entraînement existe lorsqu’un output peut être obtenu depuis la Suisse grâce à eux. A mon avis, vu le principe de la lex loci protectionis de l’art. 110 al. 1 LDIP, cela aurait automatiquement pour conséquence de rendre le droit suisse applicable lorsque le juge du lieu de ce résultat est saisi. Mais, pour plus de sécurité juridique, on pourrait aussi compléter la loi dans ce sens.
En réalité, si la motion fait peur, c’est parce qu’elle mentionne le principe d’une autorisation des titulaires de droits. Cela reflète certes correctement la nature exclusive et absolue de la propriété littéraire et artistique. Mais, vu le volume gigantesque des données utilisées à des fins d’entraînement, il est clair que les services d’IA ne pourraient pas contacter séparément chaque ayant droit concerné. Une gestion individuelle ne serait d’ailleurs pas non plus dans l’intérêt des titulaires de droits, lesquels ignorent le plus souvent que leurs œuvres sont utilisées.
Les solutions
Depuis longtemps, le droit d’auteur a toutefois trouvé une solution pour ce type de problèmes : il fait intervenir les sociétés de gestion collective, comme ProLitteris pour la littérature ou SUISA pour la musique. Pour certaines utilisations massives d’œuvres protégées, la loi a prévu des modèles comme la gestion collective obligatoire (concernant les droits énumérés à l’art. 40 al. 1 lit. abis et b LDA) ou la licence collective étendue (art. 43a LDA). Ceux-ci ont pour effet de centraliser la gestion des droits et de permettre leur acquisition auprès d’un nombre limité d’adresses. Pourquoi ne serait-ce pas envisageable aussi pour l’entraînement de l’IA ?
La motion Gössi rappelle les principes, mais elle ne dit rien des modalités. Par conséquent, si elle est adoptée, le législateur aura tout loisir de prévoir des modèles de licence praticables, assurant un juste équilibre des intérêts.
Le souci de la recherche, plus généralement d’une place économique suisse innovante et attractive, est absolument légitime. Mais aucun des intervenants sur cette place ne doit être lésé. Or, en matière de biens culturels et de médias, il y a aussi des enjeux économiques à préserver. Lorsque les secteurs technologiques et créatifs se rencontrent, il n’y a donc aucune raison de privilégier le premier au détriment du second.
[1] Voir Anouch Seydtaghia, Les milieux suisses de l’intelligence artificielle en alerte face à un projet de loi sur le droit d’auteur jugé dangereux, Le Temps du 14 août 2025.
Proposition de citation : Salvadé Vincent, Intelligence artificielle et droit d’auteur : pourquoi la motion Gössi fait-elle si peur ?, Blog du LexTech Institute, 26 août 2025.

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